- SALTYKOV-CHTCHÉDRINE
- SALTYKOV-CHTCHÉDRINELe Swift russe, comme l’appela Tourguéniev, a passé sa jeunesse sous le règne de Nicolas Ier, qui l’envoya en exil; il a partagé dans son âge adulte les illusions et les déceptions nées de réformes entreprises par Alexandre II, et fini tristement sa vie sous le règne d’Alexandre III, qui suspendit sa revue les Annales de la Patrie . Nourri de la même culture que Biélinski, Herzen, Granovski, Saltykov-Chtchédrine a mené autrement qu’eux le grand combat de l’intelligentsia contre les tares physiques et spirituelles de la Russie du XIXe siècle: il a donné à toute son œuvre un caractère satirique dont la force atteint souvent encore le lecteur contemporain.Un vaste champ d’observation: la Russie de Nicolas IerMikhaïl Evgrafovi face="EU Caron" カ Saltykov, connu sous le nom de Saltykov-Chtchédrine (Š face="EU Caron" カedrin ) naquit à Spas-Ougol, un pauvre village entre Tver et Iaroslavl, que sa famille possédait depuis deux siècles. À la différence d’Ivan Tourguéniev, Saltykov ne s’intéresse pas à la nature en elle-même, mais exclusivement aux hommes qui la peuplent; sa propre famille figure avec son modeste domaine dans plusieurs de ses ouvrages. En particulier sa mère, despotique et avare, ses frères, courbés sous le joug et se disputant sournoisement la faveur maternelle, ont fourni les modèles à peine retouchés des personnages inoubliables qui se déchirent dans les Golovlev .Éduqué par des précepteurs médiocres, Mikhaïl est envoyé en 1836 à l’Institut noble de Moscou; puis, comme boursier, au fameux lycée de Tsarskoïé-Sélo, le lycée de Pouchkine, dont il sortit avec le rang de secrétaire de collège. Lié avec M. V. Pétrachevski, son aîné de cinq ans, Saltykov se nourrit avec passion des socialistes «utopiques» français, notamment de Fourier; mais, rebuté par la confusion idéologique des Pétrachevtsy, il quitte leur cercle et raille ses anciens amis dans Une affaire embrouillée (Zaputannoe delo ) qui paraît dans les Annales de la Patrie en mars 1848. Nicolas Ier y vit une apologie de la révolution et fit reléguer Saltykov à Viatka, tandis qu’un an plus tard les autres membres du cercle, au nombre desquels Dostoïevski, étaient déportés en Sibérie après avoir été condamnés à mort.À Viatka, où A. I. Herzen avait été exilé, Saltykov passa huit années décisives pour son esprit. Au contact de la province russe, amené par ses fonctions à connaître de près les scandales dus à la corruption des employés, les litiges entre paysans et propriétaires, et même à persécuter dans les vastes forêts les vieux-croyants afin de hâter la fin de son exil, Saltykov amassa les expériences d’où il sut tirer la part la plus significative de son œuvre.Carrière administrative et débuts littérairesDe retour à Pétersbourg en 1856, Saltykov se marie, reprend un emploi au ministère de l’Intérieur et publie en 1856-1857 ses Esquisses provinciales (Gubernskie o face="EU Caron" カerki ). Ni le fictif Chtchédrine, auteur supposé des Esquisses , ni la ville imaginaire de Kroutogorsk, ni l’action prétendument située dans le passé, ni les artifices de la langue «ésopique» n’empêchèrent le public d’assurer un succès triomphal à ces récits fortement marqués de slavophilisme, tendant plutôt à idéaliser le peuple russe qu’à dénoncer en profondeur les abus dont il était victime, mais qui inaugurent néanmoins la littérature d’«accusation».Alexandre II, en cette période de réformes, donna à Saltykov une marque de faveur en le nommant vice-gouverneur de Riazan, puis de Tver, son pays natal, où il put observer quelles difficultés entraînait pour les autorités l’affranchissement des paysans: au début de 1862, il démissionne et revient à la littérature. Infléchissant ses récits vers la satire, il substitue à Kroutogorsk le nom de Gloupov (Sotteville) dans la Calomnie (Kleveta ), qui amorce le cycle de Gloupov, dont l’Histoire d’une ville (Istorija odnogo goroda ) sera le point culminant.Saltykov se joignit à l’équipe de N. Nékrassov qui fit renaître la grande revue Le Contemporain à partir de février 1863. Il y donna de nombreux comptes rendus et polémiqua longuement avec Dostoïevski, lui-même rédacteur du Temps puis de l’Époque . Mais dès 1865, Saltykov abandonne une revue en pleine décadence et reprend du service à Penza, à Toula puis à Riazan en qualité de président de la Chambre des finances. Chacun de ces emplois fut pour lui l’occasion de violents conflits avec les gouverneurs et les diverses autorités; son regard devint de plus en plus critique vis-à-vis des principes moraux et politiques dont se pare la société, et qu’il appelle les «fantômes contemporains». Les Lettres sur la province (Pis’ma o provincii ), publiées à partir du printemps 1868 dans les Annales de la Patrie , fournirent au gouvernement de plus en plus réactionnaire d’Alexandre II un excellent prétexte pour mettre fin à la carrière administrative de l’auteur.Les grandes œuvresAinsi rendu à la littérature, Saltykov publia dans les Annales de la Patrie plusieurs contes ésopiques, c’est-à-dire assez allégoriques pour que la censure ne s’abattît pas aussitôt sur la revue: les plus célèbres sont Comment un paysan réussit à nourrir deux généraux (Povest’ o tom, kak odin mu face="EU Caron" ゼik dvukh generalov pokormil ) et Les Enfants gâtés (Ispor face="EU Caron" カennye deti ), où le jeune Gricha préfigure le dictateur Ougrioum-Bourtchéiev. D’autres cycles de récits ou d’essais paraissent dans la revue, où, sous diverses formes, Saltykov attaque à la fois l’imposture du libéralisme et la brutalité du conservatisme; il prend aussi la défense de la France écrasée par Bismarck.Le meilleur cycle satirique s’étend de 1863 à 1874 et se compose de deux groupes étroitement reliés: Messieurs et Mesdames de Pompadour (Pompadury i pompadurši , 1869-1870) et l’Histoire d’une ville (1869-1870). Les «Pompadours» sont ces gouverneurs de province que Saltykov ne connaissait que trop, et qu’il dépeint en de burlesques variations sur le thème fondamental de l’arbitraire qu’ils font tous peser sur leurs administrés. La figure qui domine le cycle entier est celle d’Ougrioum-Bourtchéiev, inspirée par le redouté ministre d’Alexandre Ier, Araktchéiev: un quart de siècle avant Ubu, ce personnage incarne le despotisme obtus et destructeur, d’autant plus redoutable qu’il fascine les habitants de Gloupov et obtient d’eux les marques de la plus abjecte soumission. L’Histoire d’une ville peut être considérée comme l’ouvrage le plus caractéristique et le plus inquiétant de Saltykov.Sensible aux changements sociaux causés par l’émancipation, Saltykov dénonce ceux qu’il appelle les «rapaces» (khiš face="EU Caron" カniki ), spéculateurs et aventuriers de tout acabit profitant à la fois du déclin accéléré de la propriété féodale et de l’essor industriel; ce sont les Messieurs de Tachkent (Gospoda Taškency , 1869-1872) et les Discours bien intentionnés (Blagonamerennye re face="EU Caron" カi , 1872-1876), ainsi que leurs homologues du monde littéraire, ces «libéraux» qui s’adonnent à l’«écrémage», décrits dans le Journal d’un provincial à Saint-Pétersbourg (Dnevnik provinciala v Peterburge ) paru en 1872.Au cours d’un premier voyage à Paris en 1875, Saltykov commença Les Golovlev (Gospoda Golovlevy ) qu’il publia en 1875-1876 et acheva en 1880. C’est le seul roman proprement dit de Saltykov et l’œuvre qui fit le plus pour sa gloire. Largement autobiographique, cet ouvrage tient plus de la chronique familiale que du roman de facture classique. Mais au rebours de la Chronique de S. T. Aksakov, Les Golovlev dénoncent l’hypocrisie du lien familial en le ramenant à deux principes antagonistes, la tyrannie, incarnée sous une forme primitive par Arina Pétrovna ou enveloppée dans les vertueux discours de son fils Ioudouchka, et la révolte plus ou moins déclarée de tous les autres membres de la famille. De façon inattendue, l’arrivée d’une nièce déchue amène Ioudouchka à déchirer lui-même son pharisaïsme. Par ce roman, peut-être Saltykov se libérait-il de souvenirs pénibles tout en poursuivant sa dénonciation des «fantômes» qui peuplent la vie sociale et en analysant le déclin d’une classe oisive?La direction des «Annales» et les dernières annéesAprès la mort de Nékrassov en décembre 1877, Saltykov dirigea la revue Annales de la Patrie et lui consacra le meilleur de son temps et de ses forces. Cependant, il publie encore une étude sur le remplacement des hobereaux ruinés par de nouveaux propriétaires issus de la paysannerie dans Asile Mon Repos (Ube face="EU Caron" ゼiš face="EU Caron" カe Monrepo , 1878-1879), refuse pour la Russie l’embourgeoisement qui envahit l’Europe et particulièrement l’Allemagne dans À l’étranger (Za rube face="EU Caron" ゼom , 1880-1881); il termine son œuvre avec les Futilités de la vie (Melo face="EU Caron" カi face="EU Caron" ゼizni , 1886-1887) qui accaparent l’homme et le détournent des vraies questions, et ce Pochékhonié d’autrefois (Pošekhonskaja starina , 1887-1889), évocation ambiguë d’un monde disparu que ses sombres couleurs ne privent pas de tout charme.Sa revue interdite depuis avril 1884, Saltykov traîna péniblement dans la maladie et l’amertume ses cinq dernières années. Après une éclipse dans sa renommée, il figure depuis 1905 parmi les classiques russes, au même titre que Herzen ou N. Tchernychevski, et étend sans cesse son audience dans un Occident qui l’a longtemps méconnu.Saltykov-Chtchedrine(Mikhaïl Ievgrafovitch Saltykov, dit) (1826 - 1889) romancier russe satirique: Histoire d'une ville (1869-1870), les Golovlev (1880).
Encyclopédie Universelle. 2012.